Extrait d’un document disponible sur l’Encyclopédie de L’Agora reproduit à la demande de l’auteur : Désir, Dieu, religions
Le Dieu de Tobie, de Raphaël Thomas
Si tout est frémissement dans le livre de Michel Morin [commenté plus haut dans le texte original], tout est raisonnement dans celui de Raphaël Thomas, un pseudonyme pour un disciple contemporain de Condorcet. Dans ce roman à la fois naturaliste et théologique, le message passe avec force : pourquoi invoquer Dieu, faire appel à sa grâce pour sauver l’homme et la planète quand on sait que la nature enferme, sous la forme de l’empathie, pour ce qui est de l’homme, l’équivalent de l’amour dont il est question dans les évangiles? Et pourquoi enchaîner ce sentiment à des religions qui le transformeront en violence? Le protestantisme n’a-t-il pas ouvert la voie au rapport direct de l’individu avec Dieu? Cette tendance n’atteint-elle pas son apogée en ce moment où les spiritualités hors institution semblent avoir la faveur du grand nombre? Et pourquoi même utiliser ce mot Dieu si galvaudé par les religions, alors que l’on pourrait, dans un élan vers la solidarité universelle, le remplacer par le mot Source, lequel évoque aussi bien le non expliqué de la nature que le mystère divin des croyants?
Dans le roman, Tobie est un jeune homosexuel croyant dont on découvrira par la suite qu’il est l’ingénieur en chef d’un parlement mondial des religions fort de plus de deux millions de membres dans le monde. Le mot ingénieur s’impose car la grande opération (sic) de conversion à la solidarité universelle est présentée comme la planification du lancement d’une fusée. Dans les locaux du puissant et richissime Tobie on se croirait à Cap Canaveral, ils sont remplis d’experts, mot qui revient dans le livre à la manière d’un mantra.
La grande opération échoue suite à la mort tragique de Tobie, provoquée par une trahison de Jabar, principal représentant des musulmans dans son organisation. Si c’est pour expliquer cet échec que l’auteur a eu recours à l’allégorie de Cap Canaveral, on peut le comprendre, mais si, comme on est tenté de le croire, le procédé mécanique qui se déroule tout au long du roman, est l’évangile de la nouvelle solidarité universelle, l’auteur se réfute lui-même plus efficacement que ne saurait le faire le critique le plus sévère.
Raphaël a beau reprocher aux religions de miser sur l’autorité pour s’établir, c’est par son autorité de vieil homme savant qu’il réussit à infléchir le projet de Tobie vers le sien à quelques nuances près, nuances dont il faut toutefois préciser qu’elles sont la fine fleur de son message.
« Quelle différence reste-t-il entre le croyant et le non-croyant, si "la source" remplace le mot "Dieu" dans le manifeste de Tobie ? Je pense que l'un et l'autre pourraient contresigner le manifeste en lui donnant une signification différente :
Une saine compétition entre ces deux visions pourrait conduire à la plus haute marche du podium, celle qui aurait suscité le plus de solidarité humaine et d'harmonie avec la nature. » (P.152)
Dans ce dernier paragraphe j’aurais préféré le mot émulation au mot compétition et j’aurais évité le mot podium, rappelant une conception du sport conforme à l’allégorie du Cap Canaveral.
Raphaël Thomas demeure disposé à immoler l’autorité, y compris la sienne, sur l’autel du dialogue. C’est pourquoi il invite ses lecteurs sur un site qu’il a lui-même adapté à son roman.
Un abîme sépare ce livre de celui de Michel Morin, même s’ils se rejoignent sur la critique des religions et sur l'importance de la spiritualité individualiste. Voici deux questions qui surgissent de la comparaison entre les deux livres.
Est-ce par le Désir appelant et accueillant l’énergie du soleil invisible que l’homme peut s’élever ou par sa seule volonté?
Faut-il renoncer au mot Dieu à cause du mauvais usage qu’on en a fait inévitablement ? Ou s’incliner devant l’universalité de son usage?
Le texte de Martin Buber que Michel Morin a mis en exergue de son livre constitue sa réponse à cette question.
« D’aucuns voudront interdire d'autorité l'emploi du nom de Dieu, parce qu'on en trop mésusé. Et certes c'est le plus douloureusement chargé de tous les mots humains, mais pour cette raison même c'est le plus impérissable et le plus indispensable de tous. Mais celui-là même qui a horreur de ce nom et qui se croit sans Dieu, le jour où dans l'élan de tout son être il s'adresse au Tu de sa vie, à ce Tu qu'aucun autre ne limite, celui-là même invoque Dieu. » Martin Buber, Je et Tu.
Quelle serait, quelle sera la réponse de Raphaël Thomas?
Elle se trouve déjà à l'adresse suivante.