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Réponse de Raphaël Thomas

Je remercie m. Dufresne d’avoir pris le temps de lire et de commenter Le Dieu de Tobie. Avant de donner mes réactions, je réponds aux questions qui me sont posées à la fin de son commentaire.

  • Est-ce par le Désir appelant et accueillant l’énergie du soleil invisible que l’homme peut s’élever ou par sa seule volonté ?

Ce n’est pas par sa seule « volonté » que l’homme peut s’élever, mais en étant fidèle au « souffle de vie » qui le guide, pour reprendre le langage de Michel Morin qui me convient. La volonté ne peut servir à autre chose qu’à diriger l’attention vers le mouvement intérieur pour y « consentir », selon un autre mot clé de Michel Morin. C’est aussi la voie de Tobie. Nous sommes ici dans une zone de convergence.

  • Faut-il renoncer au mot Dieu à cause du mauvais usage qu’on en a fait inévitablement ? Ou s’incliner devant l’universalité de son usage ?

Je ne vois aucune raison de renoncer au mot Dieu tant et aussi longtemps qu’il soutient la vision de Jésus et de tous ces visionnaires qui invitent à une solidarité universelle. Mais je ne vois aucune raison de l’imposer à celui qui n’a pas la foi, comme le fait Michel Morin : « Supprime "Dieu", il ne reste plus rien (que le rien) » (p. 118). Nous sommes ici dans une zone de divergence. La solidarité doit-elle passer par l’uniformité des croyances ou de la non-croyance ? Je ne choisis pas ce que je crois, mais je choisis ce que je fais. Et si le croyant accepte de juger l’arbre à ses fruits, il pourra peut-être traiter le non-croyant comme il aimerait qu’on le traite. Il y a plusieurs demeures…

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Mes sentiments sont partagés à la lecture de la critique de m. Dufresne. Satisfaction d’abord de constater que mon lecteur a bien saisi l’enjeu du dialogue entre Tobie et Raphaël. Le texte commence par une bonne évocation du « message fort », selon les mots du commentateur. Il se termine en soulignant l’essentiel, une citation décrite comme la « fine fleur » de mon message. 

Entre ces deux commentaires, la confusion domine. Au sujet des demeures que l’on ferme, je vis un moment de tristesse en lisant ce passage : « si, comme on est tenté de le croire, le procédé mécanique qui se déroule tout au long du roman, est l’évangile de la nouvelle solidarité universelle, l’auteur se réfute lui-même plus efficacement que ne saurait le faire le critique le plus sévère. » La relation entre Tobie et Raphaël, son grand-père sceptique comme il l’appelle, évolue pourtant dans le respect mutuel riche en sensibilité. M. Dufresne n’y voit qu’un paravent qui cache une réalité dont les mots clés seraient « procédé mécanique », « ingénieur en chef », « Cap Canaveral » qu’il utilise pour amplifier, avec une certaine dérision, des mots qu’il trouve dans le roman : « experts », « opération » (ajoutant un [sic] à côté de ce mot). On peut sans doute justifier cette lecture. Par contre, je n’ai pas l’esprit assez subtil pour voir en quoi « l’auteur se réfute lui-même ». Les « experts » sont-ils exclus de la « solidarité universelle » telle que la conçoit m. Dufresne ? Devra-t-on, éradiquer de la tradition chrétienne la contribution de tous ces croyants qui mettent la raison au service de leur foi ? Et la peur du scientisme ira-t-elle jusqu’à condamner tout effort pour rendre la foi raisonnable, au sens que lui donne un scientifique qui n’a rien d’un scientiste :  « Distinguer le "raisonnable" et le "rationnel" ? Le premier inclut l’intuition et l’affectif. Le second n’implique qu’un déroulement correct du processus logique » (Hubert Reeves, 1996, L’espace prend la forme de mon regard, Paris : Myriam Solal) ? 

Une correction de détail : Tobie n’est pas « l’ingénieur en chef d’un parlement mondial des religions ». Ce « Parlement des religions du monde » existe réellement. La prochaine réunion aura lieu à Toronto, en novembre 2018 (on y attend 10 000 participants). Dans la fiction du roman, Tobie n’est qu’un participant qui veut inviter ce Parlement à se réorienter vers une mise à jour des discours sur Dieu.

Confusion aussi dans le passage suivant : « Raphaël a beau reprocher aux religions de miser sur l’autorité pour s’établir, c’est par son autorité de vieil homme savant qu’il réussit à infléchir le projet de Tobie vers le sien à quelques nuances près ». On peut comprendre que c’est ici Raphaël l’auteur et non le vieil homme du roman qui est concerné, car seul Tobie rejette l’autorité, ce qui étonne Raphaël le narrateur. Le vieil homme du roman se fait même le porte-parole des croyants qu’il fréquente pour s’étonner de cette position de Tobie. Je devrai probablement relire le roman plusieurs fois pour y trouver à quel endroit « le vieil homme savant, par son autorité, cherche, à infléchir le projet de Tobie ». Certainement pas à la page 100 : « Je ne peux cacher mon attachement pour ce drôle de croyant qui réveille mes rêves de jeunesse ». Ni à la page 122 : « Je suis surpris de ces pensées qui émergent spontanément. [...] Peut-être [...] l’espoir d’un monde meilleur que Tobie a fait resurgir en moi ». Et certainement pas dans le commentaire final : « Pour nous, Tobie est mort à tout jamais. [...] Mais il nous laisse un message très puissant : les discours que nous tenons sur l’inaccessible, l’insaisissable, l’inconnaissable, l’innommable, l’indicible, l’ineffable, l’inimaginable sont évalués en fonction de leur potentiel de solidarité universelle » (p. 152). Mais j’aurai beau me relire cent fois, ce sera toujours le livre que j’ai écrit et non pas celui qu'a lu m. Dufresne.

Sur un autre plan, je remercie l’auteur pour sa critique du langage de compétition. Moi aussi, « dans ce dernier paragraphe, j’aurais préféré le mot émulation au mot compétition et j’aurais évité le mot podium... ». 

M. Dufresne considère que « le message passe avec force ». Ce message pourra certainement varier selon les lecteurs. Voici, en terminant, celui que je souhaite transmettre à travers ce récit romanesque. Il tient en trois énoncés dont le premier est prioritaire :

  1. Chaque personne est interpellée par la vision de Jésus de Nazareth — une humanité en marche vers une solidarité universelle —, soutenue par les plus grands sages de tous les temps.

  2. La religion, qu’elle soit institutionnelle ou vécue personnellement, est une voie parmi d'autres pour cheminer vers cette solidarité universelle.

  3. La religion qui se veut la voie unique va à l’encontre de cette vision. 

Je trouverai toujours intéressant de comparer le livre que lira mon lecteur avec celui que j’ai écrit.