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Tout en même temps agnostique et croyant

 

 

Maurice Lagueux
Tout en même temps agnostique et croyant
Liber, 2017

L’expérience spirituelle est complexe et d’une grande variété. Le vocabulaire pour en parler est polysémique et souvent source de confusion. Le titre de l’essai de Maurice Lagueux étonne, mais l’auteur considère « qu’il n’y a rien de paradoxal à ce qu’un croyant sincère se dise parfaitement agnostique » (p. 11). Pourquoi? Parce qu’il y a « une différence décisive entre savoir et croire » (p. 10). Personne ne peut fonder sa foi ou son athéisme sur le savoir. Et pour dissiper toute ambiguïté, l’auteur analyse et exclut toute forme de « savoir » qui ne correspondrait pas à son option épistémique : « Un savoir découle d’une expérience en principe accessible à tous ou d’un raisonnement sûr […] Le propre d’un savoir authentique est d’être accepté universellement, à une époque donnée… » (p. 31). L’agnostique est celui qui « maintient ne pas savoir si Dieu existe ou non » (p. 43).

Une formule d’Yves Gingras pourrait aider à résoudre le paradoxe apparent du titre de l’essai : « Je suis rationnellement agnostique, mais existentiellement et affectivement athée[1] » disait-il. Que la rationalité conduise à l’agnosticisme va de soi si on accepte la définition du savoir de Maurice Lagueux. Mais l’auteur se mettra à dos les croyants qui refusent son option épistémique. Il va aussi de soi que la croyance théiste ou athée est une position affective et existentielle, mais celle-ci se doit d’être raisonnable. Des non-croyants auront de la difficulté à comprendre qu’on puisse se satisfaire d’une rationalité aussi minimale que celle acceptée par l’auteur : « il ne s’agit pas de prouver qu’il y a lieu de croire, mais uniquement de montrer que la foi est une option que l’on aurait tort de qualifier d’irrationnelle » (p. 213). La visée principale de l’essai est de montrer qu’il n’est pas impossible que Dieu existe. 

Maurice Lagueux pourrait se dire « rationnellement agnostique, mais existentiellement et affectivement croyant », mais il ne s’en tient pas à cette distinction. En limitant le qualificatif « agnostique » au domaine cognitif, il réussit encore à se mettre à dos le non-croyant qui est « existentiellement et affectivement agnostique ». Celui-ci utilise ce terme précisément pour se dissocier de la croyance théiste ou athée. Il ne se limite pas à dire qu’il ne sait pas (ou qu’il est impossible de savoir) si Dieu existe, il affiche une position spirituelle originale qui exclut la possibilité de se dire « tout en même temps agnostique et croyant ». 

C’est le cas de ce qu’on peut appeler l’agnostique rationaliste.Il s’interdit toute croyance qui pourrait le distraire d’une quête de vérité ou contaminer celle-ci. Il construit sa vie avec rigueur, tolérant sans réserve l’incertitude existentielle. Nous sommes loin de l’« agnostique » qui selon Maurice Lagueux pourrait être « incité à se dire croyant, pour peu que son agnosticisme l’ait conduit à ne pas exclure la possibilité qu’existe telle chose qu’une réalité surnaturelle… » (p. 12). André Comte-Sponville propose une définition qui respecte davantage l’originalité de l’agnostique rationaliste : « ce n’est pas seulement celui qui reconnaît ne pas savoir ce qu’il en est de l’absolu (beaucoup de croyants et d’athées le reconnaissent également); c’est celui qui s’en tient à cet aveu d’ignorance, qui refuse d’aller plus loin, qui ne veut pas se prononcer sur ce qu’il ignore, enfin qui défend une espèce de neutralité, de scepticisme ou d’indifférence en matière de religion[2] ».

On rencontre aussi parmi les non-croyants l’agnostique par défaut. À l’inverse de l’agnostique rationaliste qui s’interdit de « penser avec ses viscères » selon l’expression de Carl Sagan[3], c’est la résonance expérientielle qui l’éloigne de la croyance religieuse ou athée. Il fait preuve de la plus grande discrétion dans ce domaine. Il prend rarement l’initiative d’un débat sur des questions religieuses ou métaphysiques. Pourtant, si on le questionne, il prend le temps de se situer, « existentiellement et affectivement », témoignant d’une expérience de vie qui exclut toute possibilité de se dire croyant. 

Enfin, il y a cet agnostique nostalgique qui est devenu incroyant. Une réplique en ouverture du film de Bernard Émond, Le journal  d’un vieil homme décrit bien cette attitude : « Je ne crois pas en Dieu et je le regrette. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il me manque quelque chose d’essentiel comme un élément de liaison qui ferait de ma vie un tout. » Mais s’il se dit « agnostique », c’est précisément pour souligner qu’il lui est impossible de croire en Dieu. Le réalisateur de ce film, Bernard Émond, fait partie de ceux qui veulent protéger l’originalité de l’agnosticisme : « Il y a quelques mois, un journaliste pressé m’a décrit comme un athée. Je me suis empressé de répondre dans son journal que je n’étais pas athée, mais agnostique, et que je préférais me tenir coi devant le mystère du monde[4] ». L’agnostique nostalgique, comme les autres mentionnés plus haut, adopte une position spirituelle qui est occultée par l’amalgame « tout en même temps agnostique et croyant ». 

Malgré les réticences qu’il provoquera sans doute chez les croyants et les non-croyants, l’essai de Maurice Lagueux a le mérite d’affronter sans compromis ceux qui prétendent établir la « vérité » de leur croyance sur un « savoir ». Il va dans le sens de la formule élégante de Jules Lequier : « Quand on croit détenir la vérité, il faut savoir qu’on le croit, non pas croire qu’on le sait[5] ».

Le chapitre 4 « Monisme ou dualisme » illustre les possibilités que donne à l’auteur la frontière qu’il a tracée entre le savoir et le croire. C’est avec une grande virtuosité qu’il aborde la problématique du dualisme. Au terme d’une longue réfutation des arguments contre l’existence de « deux mondes », son agnosticisme triomphe de tout dogmatisme : « Mais que conclure de tout cela? Sûrement pas que le dualisme s’impose, puisqu’il est bien évident que rien ne permet d’assurer que les choses se passent de la façon que j’ai décrite. Je voulais seulement rappeler qu’il est possible qu’une part de ce qui est réel ne soit pas matériel et que cette part échappe, du coup à nos facultés cognitives » (p. 157). S’opposant au préjugé culturel que trahit la remarque péjorative courante, « c’est juste une croyance », Maurice Lagueux redonne à l’acte de croire ses lettres de noblesse. Son essai est un éloge de la croyance, d’une quête de sens qui ne s’arrête pas lorsque la science se tait.

Les lecteurs qui auront passé outre les difficultés décrites plus haut, trouveront dans cet essai l’exposé d’une foi basée sur le non-savoir, une approche qui devrait assainir le débat entre croyants et non-croyants. Maurice Lagueux présente, dans son dernier chapitre, les raisons qu’il a de croire, sans qu’il lui soit nécessaire de justifier rationnellement son credo : « La foi n’est rien d’autre qu’une attitude confiante (justifiée ou non) à l’égard de ce qui devrait caractériser cet autre monde » (p. 212). Il a le courage de reconnaître que toutes les raisons de faire confiance « sont largement personnelles et subjectives » (p. 212). Il énumère ensuite ses propres raisons basées sur différents aspects de la tradition chrétienne. Fidèle à son agnosticisme, il rappelle que dans cette tradition « ce n’est pas un savoir qui est transmis, mais plutôt une inspiration et une source de confiance » (p. 251).

Quelles que soient ses réactions au livre de Maurice Lagueux, le lecteur qui aura suivi l’auteur jusqu’au bout aura eu l’occasion de s’interroger sur les raisons qu’il a de croire ou de ne pas croire.


[1]Gingras, Y. (2009), Le pari de la raison, dans Baril, D. et Baillargeon N. (dir), Heureux sans Dieu, Montréal : VLB Éditeur, p. 50.

[2]Comte-Sponville, A. (2006), L’Esprit de l’athéisme. Introduction à une spiritualité sans Dieu, Paris : Albin Michel, p. 83-84.

[3]Cité dans Dawkins, R. (2008), Pour en finir avec Dieu, Paris : Laffont, p. 55.

[4]Émond, B (2011), Il y a trop d’images, Montréal : Lux (p. 112- 113).

[5]Jules Lequier, cité dans Capelle, P. et Comte-Sponville, A. (2008), Dieu existe-t-il encore? Paris : Les Éditions du Cerf, p. 98.